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La situation nutritionnelle en Belgique, caractérisée par une augmentation du surpoids et de l’obésité, est très préoccupante. Pour y faire face et envisager les changements politiques nécessaires, il est utile d’analyser les déterminants des choix alimentaires à plusieurs niveaux : au niveau individuel, au niveau de l’environnement alimentaire, et au niveau du système alimentaire dans son ensemble. Ce n’est qu’en abordant le sujet de manière transversale que l’on peut espérer agir efficacement.
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Cet article s’appuie notamment sur le rapport suivant : Cartographie des mesures pour agir contre l’obésité en Région wallonne, Jonathan Peuch & Olivier De Schutter, 2019, Rapport final du projet Food4Gut, T5. En Belgique, on mange difficilement bien Agir à trois niveaux : individu, environnement alimentaire, système alimentaire Un plan politique complet et cohérent
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Le droit à l’alimentation ne saurait se résumer à un droit à ne pas mourir de faim, ou à un droit à obtenir les calories nécessaires pour survivre. L’accès à une alimentation « nutritivement » adéquate doit se comprendre comme le droit de s’alimenter à partir d’une nourriture apportant tous les nutriments nécessaires à une vie active complète et en bonne santé.
En Belgique, on mange difficilement bien
En Europe, et en Belgique en particulier, la situation nutritionnelle est loin d’être brillante et la question alimentaire, loin d’être réglée. Ceci peut paraître surprenant quand on considère l’énormité des choix dans les supermarchés ou les achalandages luxuriants des épiceries de quartiers. C’est le paradoxe de la nutrition : alors que le choix en produits alimentaires n’a jamais été aussi large, une grande partie de la population prend des risques potentiellement graves en mangeant.
Plusieurs indicateurs donnent des signaux clairs. Les taux d’obésité et de surpoids sont particulièrement alarmants. En effet, environ la moitié de la population (49,3 %) est soit en surpoids soit obèse [1]. Et il est estimé qu’au moins 15,9 % de la population belge a un indice de masse corporelle (IMC) égal ou supérieur à 30 en 2019, lequel chiffre correspond à un état morphologique qui est un facteur de risque pour plusieurs maladies chroniques très dangereuses. Les chiffres sont en hausse linéaire depuis 1997.
Les maladies chroniques constituent la première cause de mortalité en Belgique, en Europe et dans le monde. 30 % des décès en 2004 sont liés à un facteur de risque alimentaire, et la situation ne fait que s’aggraver depuis [2].
Graph 1 : Proportion de la population au-dessus ou en dessous des recommandations diététiques nationales et internationales, par groupe alimentaire et par année, Belgique 2004-2014. [3 ]
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Il faut néanmoins souligner qu’être obèse ne signifie pas être malade : c’est un facteur de risque. En outre, les malades chroniques sont plus vulnérables à d’autres maladies, comme le coronavirus Covid-19 l’a mis en avant.
Un autre indicateur est l’écart aux recommandations nutritionnelles. Ces écarts sont particulièrement marquants. Par exemple, seulement 14% de la population consomme au moins 400 grammes de fruits et légumes par jour, comme recommandé.
D’autres facteurs, encore, aggravent cette situation. Les niveaux d’éducation et de revenu sont déterminants : les plus pauvres ont plus de deux fois plus de risques d’être obèses que les plus riches (environ 25 % contre 8 %). Si le genre n’est pas très pertinent en la matière, l’âge l’est : les taux d’obésité sont plus importants chez les séniors que chez les jeunes, même si l’obésité infantile est en hausse.
Il faut enfin souligner que l’obésité n’est pas qu’un état morphologique mesurable. Considérée socialement comme une forme d’anormalité et souvent discriminé (c’est la « grossophobie »), elle peut être ressenti comme une honte et entamer l’estime de soi, ce qui peut renforcer le cercle vicieux de la pauvreté.
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Agir à trois niveaux : individu, environnement alimentaire, système alimentaire
Si la situation est extrêmement problématique, il nous faut d’abord comprendre les causes de cette situation avant d’envisager des changements à mettre en œuvre au titre des obligations du droit à l’alimentation et à la nutrition. La manière la plus complète d’aborder cette question serait de diviser les déterminants des choix alimentaires en trois niveaux : l’individu au centre ; l’environnement alimentaire autour de lui ; les facteurs macros pour finir.
# 1/ Au niveau individuel, et dans un système de libre marché tel que le marché intérieur organisé par l’Union européenne et les traités qui lui sont relatifs, l’enjeu est d’informer le·a consommateur·rice pour lui permettre de faire des choix libres et éclairés. Encore faut-il qu’il·elle sache quels produits choisir et comment les assembler pour construire un régime alimentaire nutritionnellement équilibré à long terme.
Le droit européen de la consommation estime que le·a consommateur·rice doit être informé·e de toutes les caractéristiques essentielles du produit pour qu’il·elle puisse prendre un choix en connaissance de cause et sans être induit en erreur.
Plusieurs éléments doivent lui être présentés clairement, visiblement, sans ambiguïté : le type et la nature des produits, le prix, les modalités de paiement ou livraison, et d’autres informations particulières, comme l’origine de la viande ou des légumes, les taux d’alcool par litre, etc.
Les informations nutritionnelles doivent être affichées, mais force est de constater qu’elles ne sautent pas aux yeux, ne communiquent que sur certains nutriments et ne parviennent pas à donner au·à la consommateur·rice une idée claire des apports nutritionnels d’un produit.
D’où l’intérêt des mesures en faveur d’un affichage nutritionnel clair et compréhensible en un coup d’œil, tel que le nutri-score. Une première piste d’action.
Néanmoins, il sera insuffisant d’informer le·a consommateur·rice sur les apports nutritionnels des produits tant que celui·celle-ci sera bercé·e par des fables commerciales à longueur de journée, que cela soit dans la rue, sur le bord de la route, sur internet, sur son téléphone, dans son journal, ou dans ses boites aux lettres virtuelle ou postale.
Les informations publicitaires visent à mettre en avant les avantages d’un produit, la promesse qu’il se propose de réaliser. Les aliments deviennent rassurants, sains, gourmands, rapides, pratiques, luxueux, pas chers, technologiques, paysans ou locaux ; ils procurent une vie authentique, heureuse, socialement riche ou en pleine forme. Les slogans et les images prennent le dessus dans l’esprit du·de la consommateur·rice. Il faut souligner la virulence du rapport prédateur que les entreprises de vente entretiennent avec les consommateur·rice·s.
Une deuxième piste d’action est donc de réglementer la publicité pour les aliments trop gras, trop salés, trop sucrés, en s’inspirant des réglementations sur le tabac ou l’alcool.
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#2/ Au niveau de l’environnement alimentaire, on peut distinguer les dimensions sociales des dimensions spatio-temporelles. Socialement, l’individualisation des choix et des pratiques alimentaires est remarquée par toute la sociologie de l’alimentation. L’individualisation de l’alimentation et sa présentation sous forme de choix personnel apporte à la fois une liberté et une flexibilité au·à la consommateur·rice, mais s’accompagne de plusieurs formes d’anxiété dues à cette responsabilité. En effet, l’individualisation des choix s’inscrit en porte-à-faux avec les normes culturelles et traditionnelles alimentaires qui proposaient des régimes locaux et équilibrés, mais aussi une forme de relation à l’autre qui était structurée par les repas.
L’individu·e moderne peine à se repérer dans cet imbroglio de recommandations, de modes, d’avis contradictoires et d’informations partielles et partiales, ou pas, qui constitue son quotidien. « Bien manger » peut devenir problématique, voire obsessionnel dans le cas de l’orthorexie. Or, nous sommes ce que nous mangeons : l’alimentation est un fondement de l’identité, une manière de se construire pour soi, mais aussi pour les autres. Au niveau nutritionnel, il n’en va pas autrement, et la bonne volonté peut ne pas suffire à construire un régime alimentaire sain. Les dimensions spatio-temporelles sont celles qui apparaissent lorsque l’individu·e, dans la pratique, se rend dans un magasin pour faire ses courses, ou dans un snack ou un restaurant pour manger, ou qu’il·elle commande en ligne un plat préparé.
D’abord faut-il que les magasins les plus pratiques proposent des aliments frais, ce qui n’est pas toujours le cas : on parle de déserts alimentaires s’il n’y pas de magasins accessibles à une distance raisonnable, ou de marais alimentaires si les seuls magasins disponibles ne proposent essentiellement que des aliments ultra-transformés, ou des plats préparés nutritionnellement inadéquats.
Ensuite, une fois dans le magasin, les techniques de marketing déployées pour persuader le·la consommateur·rice d’acheter tel ou tel produit sont alors effarantes : les parcours dans les magasins sont prévus, les promotions et les produits arrivent dans un ordre bien précis, les produits sont agencés de manière à être plus visibles que d’autres, les jeux sur les prix valorisent ou dévalorisent certains produits, les temps d’attente devant les rayons sont calculés, les sens sont mobilisés par les odeurs, les musiques, les visuels, les objets à toucher, etc.
Dans les « grandes » enseignes, les comportements sont millimétrés, les règles sociales sont strictes et chacun·e est soucieux·se d’optimiser son temps. On poussera aux achats impulsifs, on s’imposera dans les habitudes et la normalité. Or, toutes ces techniques d’influence ne sont bien sûr pas orientées vers le maintien en bonne santé du·de la client·e, mais vers la rentabilité au mètre carré du magasin.
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#3/ Enfin, le niveau macro est surtout celui du système alimentaire au sens large. Là aussi, les enjeux nutritionnels sont forts. Les principes du libre-marché sont maintenant appliqués à l’échelle mondiale : spécialisation des territoires en matière première, produits courants et transformés ou produits de qualité ; commerce agricole mondial qui peine à intégrer les produits frais qui sont fragiles et demandent des précautions logistiques couteuses ; industrialisation de la production, de la transformation, de la logistique et de la distribution.
Les produits en monoculture, cultivés en grandes quantités en des lieux délimités sont en effet les plus propices aux économies d’échelle (riz, blé, maïs, soja, pomme de terre ; huiles végétales de tournesol, colza, palme ; bœufs, poulets, porcs ; sucres de canne ou de betterave). Or, les produits les plus pratiques à produire au niveau industriel ne sont pas forcément les plus nutritifs, loin s’en faut. Le critère déterminant, là aussi, est la rentabilité qu’on peut en tirer
La mondialisation du système alimentaire conduit grosso modo à une homogénéisation des régimes alimentaires.
Dans un tel cadre, relocaliser la production de légumes et de fruits, à l’instar des ceintures alimentaires qui fleurissent un peu partout, peut être une solution déterminante pour végétaliser les paniers alimentaires des urbain·e·s, à condition que la diversification des cultures soit bien présente.
Plus radicale, la réglementation des produits est une autre solution pour pousser ou obliger l’agro-industrie à réduire les taux de sucre, sel et graisse dans les produits vendus. On peut agir sur les cahiers des charges, les recettes, ou sur les prix via des taxes pigouviennes (qui augmentent le prix des produits ayant des dommages sociétaux forts).
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Un plan politique complet et cohérent
Le rapport sur lequel cet article s’appuie [Cartographie des mesures pour agir contre l’obésité en Région wallonne, Jonathan Peuch & Olivier De Schutter, 2019, Rapport final du projet Food4Gut, T5. ]] met en avant plusieurs messages clés. D’abord, il faut des politiques publiques : on ne peut laisser au·à la consommateur·rice la seule responsabilité de construire des régimes alimentaires équilibrés dans un marché libre.
En effet, si les individu·e·s les plus riches et les plus instruit·e·s s’y retrouvent grâce aux ressources cognitives et financières dont il·elle·s disposent, les autres ne s’en sortent pas, et une mauvaise alimentation renforce les problèmes de santé et sociaux, entretenant un cercle vicieux qu’il est impossible de rompre seul·e. Ces politiques publiques, ensuite, doivent être systémiques : il faut adopter un plan cohérent touchant à la fois aux produits disponibles et donc à leur mode de production, aux informations rendues disponibles aux consommateur·rice·s (réglementer la publicité, renforcer les recommandations), aux systèmes de fixation de prix (en réglementant les promotions ou en jouant sur les taxes et les taux de TVA). Enfin, un suivi transversal par tous les acteurs concernés doit être assuré à l’aide d’outils de gouvernance adéquats.
Le rapport étudie 68 mesures possibles, soulignant leurs forces et leurs faiblesses. Elles doivent être cohérentes et misent en œuvre plus ou moins en même temps, mais aussi progressivement pour que consommateur·rice·s et acteurs économiques puissent s’adapter à ces changements.
En revanche, si les acteurs privés peuvent d’eux-mêmes prendre des décisions en faveur d’une meilleure nutrition sur base d’une responsabilité sociale, celle-ci a jusque-là été insuffisante pour opérer des changements systémiques. Elle ne doit pas être privilégiée.
Pour que les Belges puissent manger dans la dignité, conformément au droit à l’alimentation, il·elle·s doivent donc être rendu·e·s plus réflexif·ve·s, mieux informé·e·s, mais aussi mieux protégé·e·s.
Respecter les capacités actuelles des mangeur·euse·s ; protéger les mangeur·euse·s face aux techniques qui promeuvent des produits nutritionnellement inadéquats à une vie en bonne santé ; encourager les initiatives privées, citoyennes et publiques qui améliorent le panier alimentaire de chacun et chacune : autant d’obligations qui doivent être prises au sérieux et qui répondent à un problème grave et sous-estimé, souvent pensé comme un pendant négatif, mais nécessaire et négligeable, de la société d’abondance. Dans un monde où les maladies chroniques sont les premières causes de décès, cette perspective doit être absolument transformée.
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[1] Etat nutritionnel. Enquête de Santé. Sabine Drieskens, Rapport SCIENSANO, 2019.
[2] Hypertension, taux de glucide, taux de cholestérol, surpoids et obésité et faible consommation de fruits et légumes se combinent et génèrent potentiellement des ACV, du diabète, des cancers, mais aussi des dépressions ou des formes d’incapacité.
[3] [Enquête de consommation alimentaire (FCS) 2014, Sciensano, https://fcs.wiv-isp.be/SitePages/Home.aspx