Lettre ouverte à Janusz Wojciechowski, Commissaire européen à l’Agriculture
Bruxelles, le 10 avril 2020
Cher Commissaire Wojciechowski,
L’effondrement du marché du lait est à nos portes. Les producteurs ne veulent pas d’une nouvelle crise du lait.
Comme vous le savez, la pandémie du covid-19 provoque une sous-valorisation des produits laitiers. Dans le même temps, en ces mois d’avril et de mai, nous connaissons le pic de production du printemps alors que, parallèlement, les débouchés sont en forte baisse !
Tous les restaurants, toutes les cantines scolaires sont fermées et beaucoup d’usines de transformation ont réduit leurs activités.
D’autre part, la plupart des frontières sont fermées et les exportations sont en chute, notamment faute de dockers pour décharger les conteneurs.
Les cotations en beurre et en poudre dévissent de semaine en semaine. Elles étaient, le 17 février, pour le beurre à 353,43 cents/100kg et, le 25 mars, à 334,83. En ce qui concerne la poudre de lait écrémé, elles étaient à 259,45 cents/100kg et sont descendues le 25 mars à 230,65 cents/100kg.
Cette crise va impacter fortement les producteurs de lait si on laisse les forces du marché faire le prix comme c’est le cas actuellement.
Cependant, en cas de crise, le Comité des Régions et de nombreuses forces vives suggèrent que la Commission puisse activer des mesures de réduction de la production de lait et permettre ainsi d’anticiper une chute inéluctable des prix. C’est important d’analyser le fait que, par exemple, en Italie l’explosion de l’épidémie s’est produite dans des provinces avec une forte présence de grandes étables d’élevage industriel.
Lors de la précédente crise de 2015/2016, l’UE n’a pas voulu devancer la crise du moment et s’est retrouvée avec plus de 380.000 tonnes de poudre sur les bras. Mais, surtout, tous les producteurs se sont retrouvés sous-payés et ont vécu des drames et des douleurs incommensurables, qui a provoqué la disparition de milliers d’autres petits et moyens producteurs.
Or, la Commission aurait pu éviter ces situations si elle avait anticipé cette crise.
En ces moments difficiles pour tous, nous vous suggérons de prendre la mesure des enjeux actuels pour les producteurs de lait et de ne pas ajouter une crise à la crise.
Nous n’avons plus besoin de nouvelles restructurations dans les fermes. Que du contraire, nous avons besoin de nombreuses fermes réparties sur tous les territoires de l’Union Européenne.
A l’heure du réchauffement climatique et de la préservation de la biodiversité, nous avons besoin de fermes à taille humaine et pratiquant le pâturage de leurs vaches. Or, nous savons que des fermes trop grandes obligent les vaches à rester en permanence dans les étables. En l’absence de mise en pratique de mesures de maitrise des forces du marché, nous connaitrons de nouveau des prix bas et de nombreux producteurs de toute taille devront arrêter de produire. De plus cela ne va pas encourager la jeune génération à s’engager dans le métier.
La présente crise nous montre l’importance de garantir notre sécurité alimentaire, en renforçant la souveraineté alimentaire de l’Union Européenne, en régulant le marché public et en limitant, si nécessaire, la production des plus grandes exploitations. Ne pas répondre à cet enjeu nous fera basculer, à terme, dans une dépendance alimentaire en qualité et en quantité.
Garder de nombreux Paysans sur tous les territoires est un gage précieux pour nous et pour les générations futures.
La pandémie du Covid-19 ne doit pas nous faire reculer par rapport aux ambitions du Green Deal mais, au contraire, accélérer la représentation des modes de production agricole et de distribution alimentaire.
Tout le monde dit que tout sera différent après cette crise, nous voulons croire qu’il est temps de changer la politique de concentration, d’industrialisation de la production pour la filière lait.
Les pouvoirs publics que vous représentez à l’échelle de l’Union Européenne doivent prendre la main sur ce qui nous parait des plus essentiels, à savoir la santé des personnes et l’alimentation.
La souveraineté alimentaire est plus nécessaire que jamais.
Nous restons à votre disposition pour toute clarification et tout autre dialogue sur cette question.
Veuillez agréer, Monsieur le Commissaire, nos respectueuses salutations,
Henri Lecloux, membre d’ECVC – tel 0032 499 170 328 – FR-
Andoni Garcia, membre du Comité de Coordinación d’ECVC – tel 0034 636 451 569 – ES-
European Coordination Via Campesina