Audition du Mouvement d’Action Paysanne, représenté par Louis Larock (co-président du MAP), au Parlement wallon, en Commission de l’économie, de l’aménagement du territoire et de l’agriculture - Séance du 29 avril 2021 sur l’accès au foncier
[ Présentation du MAP ]
Le développement d’un réseau de fermes familiales et agroécologiques représente une réelle solution pour relever les défis et enjeux auxquels l’Europe, la Belgique et la Wallonie entière sont confrontées. Autant en termes de production et d’autonomie alimentaire, d’emploi, de travail et de revenus décents que pour répondre aux besoins de chaque territoire, aux enjeux climatiques et à la préservation de la biodiversité.
A ce titre, le régime foncier est de la plus haute importance et il est essentiel de pouvoir répondre aux questions suivantes :
● Qui contrôle l’usage de la terre agricole ?
● Comment est-elle utilisée (quel modèle, quelle pratique, quelle production) ?
● Pendant combien de temps ?
● A quelle fin et au profit de qui ?
Pour répondre à ces enjeux, il est temps de redécouvrir les racines de notre résilience en fondant la politique foncière sur l’action collective et selon des formes démocratiques.
Cette démarche repose sur une approche de la terre non pas comme une marchandise mais comme une ressource commune, un territoire vivant et un paysage naturel. Elle correspond étroitement à une philosophie d’intendance des terres basée sur la reconnaissance du fait que la terre est détenue en fiducie, pour le présent et les générations futures.
L’approche de la politique foncière que le MAP défend contribue également à soutenir des modèles de production alimentaire plus régénérateurs sur le plan écologique, tel que l’agroécologie paysanne.
Soutenir l’agroécologie paysanne à travers une politique foncière plus démocratique est aujourd’hui plus crucial que jamais, compte-tenu d’un certain nombre de tendances alarmantes, notamment :
1. Les prix des terres en Région Wallonne et en Belgique sont devenus incroyablement élevés à cause de la spéculation et sont complètement déconnectés de leur valeur agronomique ! Il est impossible pour un agriculteur rembourser un crédit pour l’acquisition de terres avec les revenus actuels de productions laitières, bovines, maraîchères et autres (cfr1) ...
2. Les primes de la PAC, distribuées à l’hectare depuis 1992, encouragent les grandes
exploitations à manger leurs voisins et à continuer leur agrandissement. Cette version de la PAC, toujours en vigueur, a de plus légalisé et subsidié la vente à perte. Vendre en dessous des coûts de production pendant des années a fortement abaissé les revenus et la trésorerie des petites et moyennes fermes.
3. L’absence de toute régulation des volumes de production et d’adéquation des prix aux coûts de production engendrent une course à la production, à l’agrandissement, à la chasse aux terres et, in fine, à l’augmentation de leur prix, ce qui démotive les jeunes de s’installer.
4. La terre n’est plus vue comme une denrée rare et nourricière. L’artificialisation des terres prend des proportions telles qu’elle nourrit la spéculation sur le foncier agricole et le bétonnage sans fin.
5. Les différents accords de libre-échange, et l’accord OMC, avec leurs cumuls non pris en compte, permettent l’importation de produits agricoles mettant en concurrence déloyale nos producteurs, les entraînant à une course à l’agrandissement pour rester compétitifs.
6. Les politiques agricoles visent à favoriser l’exportation et l’importation, plutôt que l’autosuffisance alimentaire. Les cultures industrielles de pommes de terre, par exemple, sont supérieures de 6 fois à la consommation interne (= 641%).
Par contre, les céréales panifiables ne couvrent que 33% de la consommation (cfr Etude de Philippe Baret). Nous sommes dépendants des protéines végétales venues des Amériques. Nous avons un taux d’auto-approvisionnement (cfr2) de 17% en fruits et en légumes. En volaille, c’est pareil.
7. La production d’agrocarburants, dont le bilan énergétique mérite d’être discuté, représente 9% des surfaces agricoles wallonnes (cfr3). Ce sont autant d’hectares non consacrés à l’alimentation.
Ces tendances ne peuvent que s’accentuer si le politique ne fixe pas des limites ! Le MAP pense qu’il est inadmissible que des terres qui peuvent produire des biens alimentaires soient détournées de leur fonction première nourricière.
Face à ces tendances alarmantes, la Région Wallonne doit recentrer ses politiques agricoles, foncières et alimentaires autour de quelques axes prioritaires :
o L’autonomie alimentaire et la nécessaire relocalisation de l’alimentation.
o La valeur et la répartition des plus-values
o La nécessité de revenus décents et socialement défendables, dans des fermes à
taille humaine, dans des structures où l’on n’est pas structurellement sous perfusion
bancaire.
o Des fermes dont la taille leur permet d’être transmissibles.
o Des fermes dont les pratiques rencontrent les enjeux du climat et de la préservation
de la biodiversité.
o Des fermes où la qualité alimentaire nutritive est un souci primordial.
o Des fermes où la terre n’est pas une contrainte, un sujet d’endettement
insurmontable.
Pour y arriver, le MAP demande à la Région Wallonne :
● De plaider auprès de l’UE pour le passage des aides PAC (actuellement attribuées par ha) à des aides attribuées par actif, pour freiner la course à l’agrandissement,
● De plafonner les aides PAC à 60.000€ par exploitation, de soutenir les structures maraîchères de toute petite surface, et accorder une aide spécifique significative aux 30 premiers hectares (cfr4).
● De mener des politiques qui encouragent une utilisation de la terre prioritairement pour les productions qui nourrissent d’abord la population nationale.
● De mener des politiques qui encouragent de bons usages de la terre. Le but est d’avoir des sols vivants. L’approche agroécologique, l’agroforesterie, l’agriculture biologique doivent être encouragées, de même que la polyculture-élevage. Un système de bonus-malus pourrait encourager les animaux aux pâturages, pourrait décourager les animaux renfermés, de même pour les fumures chimiques et l’application de produits phytosanitaires de synthèse. L’encouragement à des rotations longues et l’inclusion de légumineuses dans celles-ci.
● D’avantager fiscalement les ventes de biens à destination de l’installation plutôt que de l’agrandissement.
● De créer des structures de portage foncier pour permettre l’installation d’un plus grand nombre de porteurs de projets. Ces structures ne pourraient louer des terres, dans le cadre du fermage, qu’à des personnes individuelles ou associées dans des structures de production où elles fournissent l’essentiel de la main-d’œuvre et non à des sociétés foncières, qui ont pour but d’éviter le bail à ferme. Ces structures pourraient être ouvertes à l’investissement public et s’appuyer notamment sur la finance solidaire. Ce portage doit comprendre la terre et le bâti.
● De soutenir et encadrer les Groupements Fonciers Agricoles (GFA) citoyens qui permettent à des agriculteurs de s’engager dans le métier sans devoir acheter la terre. Terre en Vue est un bel exemple à soutenir et à renforcer.
● De renforcer les règles d’urbanisme qui visent à préserver les terres agricoles pour lutter contre l’artificialisation galopante des terres dans notre région. La région Wallonne doit se fixer des objectifs clairs de réduction de bétonnage de terres agricoles. Il est indispensable de protéger de l’urbanisation les 57.000ha de SAU situés en zone d’habitat. Ces SAU, proches des populations, sont idéalement situées pour la production/vente de proximité, les circuits courts, le maraîchage sur petites surfaces et permettent de nourrir les citadins au plus proche de leur lieu de vie. Alors qu’on promeut de tout côté l’agriculture urbaine hors sol, des terres nourricières existent au sein des zones d’habitat, protégeons-les par des lois ou décrets incontournables pour empêcher leur bétonnage. (cfr5)
● Des structures sous-régionales devraient être mises en place afin de permettre la rencontre des cédants et des repreneurs de fermes. Il faut également financer un accompagnement des futurs cédants et futurs repreneurs vers la reconception des « systèmes d’exploitation ». Anticiper les transmissions devient alors un moyen d’accompagner les cédants dans des changements de pratiques et permettrait de mettre plusieurs repreneurs ensemble afin que les grosses fermes existantes puissent être reprises à plusieurs.
● Réclamer la création au niveau européen d’un observatoire européen des terres agricoles, comme l’ont demandé le PE et le Comité européen des régions ;
● Appliquer en Belgique les directives volontaires pour la gouvernance foncière adoptées à la FAO en 2012
● Afin d’assurer et de maintenir un revenu sur le long terme, donc d’éviter les crises, les amendements du Parlement Européen sur l’OCM, votés en octobre dernier, doivent absolument être pris en considération. Ils concernent principalement le fait de tenir compte des coûts de production dans la formation des prix du lait (article 148), de prévoir une réduction volontaire des volumes en cas de crise et un plafonnement temporaire (article 219 bis et ter), de mettre en place un mécanisme d’alerte précoce en cas de crise (article 218 ter). Il propose d’assurer une meilleure transparence eu égard à l’intervention (article 16) et bien d’autres (il serait trop long de les citer tous). Ils font, pour le moment, l’objet de négociation en trilogue.
● Le région wallonne doit mettre en place un plan protéines digne de ce nom, avec comme objectif l’arrêt de la déforestation importée ainsi que la dépendance des importations des protéines des Amériques.
● Développer diverses stratégies de production, de diversification, de transformation et de commercialisation, en vue d’une relocalisation des productions en circuits courts permettant aux producteurs de se réapproprier de
la valeur ajoutée.
● Rétribuer, via les BCAE, chaque ferme en fonction du % d’éléments non productifs et bénéfiques pour la biodiversité. Les MAEC devraient soutenir l’augmentation des taux de carbone dans le sol et permettre de rémunérer les changements vers des pratiques vertueuses, telles celles décrites plus haut.
● Augmenter les aides à l’installation en faveur des projets en agriculture paysanne agroécologique, en production biologique.
● Créer un statut d’apprenti-repreneur qui permette au cédant d’embaucher et de former le repreneur dans des conditions avantageuses pour chacun.
● Aménager, pour les maraîchers agroécologiques de petites surfaces, la règle interdisant la mise en culture de pâturages permanent pendant 2 ans après leur retournement
● Collecter et rendre publique les informations concernant les nombreux biens fonciers appartenant aux pouvoirs publics (communes, CPAS, fabriques d’église, intercommunales...). Établir des objectifs d’intérêt général à poursuivre dans leur gestion.
● Que ces mêmes pouvoirs publics acquièrent des terres agricoles en vue de les mettre à disposition d’agriculteurs, éleveurs, maraîchers, avec obligation de les cultiver en vue de nourrir les populations locales, avec des pratiques agroécologiques, conformes aux enjeux et aux demandes sociétales actuelles.
● Mettre en place des SAFER. Ces sociétés d’aménagement foncier et d’établissement rural existent déjà en France et sont informés par les notaires des projets de transaction sur des terres agricoles, peuvent s’y opposer, faire baisser un prix excessif par rapport à une zone, acheter en lieu et place pour réaliser des politiques d’intérêt général, dont la lutte contre la spéculation et l’accaparement des terres, le soutien à l’installation de nouveaux producteurs et le maintien d’activités agricoles. Il faudrait également mettre en place au sein de ces SAFER un système de commission entre le bailleur et le locataire afin que la priorité aille à des porteurs de projets locaux et des petits projets agroécologiques avec vente en circuit court.
Il nous reste à bien fixer les objectifs et modalités, où les pouvoirs publics participeraient à la gestion et en seraient les garants. Il va de soi que les objectifs sociaux, économiques et environnementaux de l’intérêt général doivent primer sur les intérêts particuliers. Nos buts sont de soutenir un maximum de petites et moyennes fermes à taille humaine, de faciliter l’accès à la terre en évitant des endettements étrangleurs, d’aider à l’installation des jeunes paysans, de lutter contre la pression et la spéculation foncière, de tirer vers le haut les pratiques vertueuses qui préservent nos sols et favorisent la santé par l’alimentation.
● Faciliter l’implémentation d’habitats légers pour les porteurs de projets agroécologiques. Selon le nouveau CoDT, les agriculteurs peuvent habiter en HL en zone agricole si ceux-ci sont implantés à proximité de leurs installations (ou constituent une diversification de type “tourisme à la ferme”). Mais qu’en est-il des jeunes (maraîchers, petit élevage, etc) qui n’ont pas d’infrastructures ni de bâtiments, mais qui ont nonobstant besoin d’habiter sur leurs terres, ou à proximité immédiate de celles-ci ? Les cas de refus des communes quant à l’implantation de ces HL sont encore nombreux ; le cadre juridique devrait être plus clair. Car une fois encore l’application actuelle de la loi favorise les ± grosses exploitations déjà installées, au détriment des jeunes porteurs de projet qui démarrent alors qu’elle devrait, au contraire, favoriser l’installation de nouveaux agriculteurs et d’exploitations familiales à taille humaine.
● Inclure les infrastructures auto-construites et le matériel de seconde main ou auto-construit dans l’aide à l’investissement.
En Conclusion :
La pandémie actuelle nous interroge sur des points essentiels que sont notre santé et notre alimentation. Cette crise nous a surpris et nous bouscule. D’autres crises nous guettent. L’ampleur de la crise climatique et celle des inégalités qu’elle va engendrer risque bien de déboucher sur des crises alimentaires que nous devons prévenir et anticiper.
Pour cela, nous devons absolument sauvegarder et amplifier un réseau de petites et moyennes fermes paysannes sur tous les territoires, qui produisent de la nourriture destinée à la consommation locale.
Les questions de l’accès à la terre et des régimes fonciers font partie intégrante de ces enjeux. La terre ne doit pas être un terrain de jeux pour les spéculateurs mais être au service du bien commun.
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(cfr1) Selon le dernier rapport de l’observatoire foncier agricole wallon, le prix moyen des terres s’élève à 45.536 € l’hectare en zone
agricole, avec des écarts allant de 28.687 € à 142.260 €. Les terres agricoles présentes dans les zones urbanisées ou urbanisables, particulièrement menacées, y sont beaucoup plus chères. Le prix moyen s’y élève désormais à 235.679 € l’hectare. Les terres agricoles ne sont donc plus accessibles à la quasi totalité des agriculteurs.
(cfr2) Présentation du Collège des producteurs faite par Monsieur Grosjean, lors de l’audition du 11 février dernier
(cfr3) Etude “quelles agricultures en 2020 ?” de Clémentine Antier, Timothée Petel, Philippe Baret
(cfr4) La résolution du Parlement européen du 27/04/2017 qui concernait la facilitation de l’accès à la terre pour les agriculteurs, pointait déjà que les paiements directs seraient économiquement plus efficaces s’ils étaient calculés sur la base des avantages environnementaux et socio-économiques collectifs qu’apportent une exploitation agricole plutôt que sur la seule base de la surface couverte.
(cfr5) Les 65.000 ha déjà artificialisés (jardins, terrains de sport / loisir, etc) situés en zone agricole pourraient servir à de l’habitat léger réversible, pour densifier l’habitat existant déjà en ZA, éviter l’étalement urbain et, par effet ricochet, protéger les SAU réellement cultivées (en ZA et en ZDU)